La politique climatique sous la loupe de la Cour européenne des droits de l'Homme

La politique climatique sous la loupe de la Cour européenne des droits de l'Homme

 Du nouveau en matière de responsabilité environnementale des Etats membres du Conseil de l’Europe

Le 9 avril 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme a, pour la première fois, condamné un Etat pour son inaction face au changement climatique, en l’occurrence la Suisse qui, selon la Cour, a manqué à son obligation de protection de ses ressortissants contre les effets du réchauffement climatique.

Dans l’affaire soumise à la Cour (affaire Vereien KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse), la Suisse était poursuivie, notamment, par l’association « Aînées pour le Climat », regroupant 2.500 femmes âgées de plus de 65 ans qui dénonçaient « des manquements des autorités suisses pour atténuer les effets du changement climatique ».

Cet arrêt de principe fondamental instaure un droit pour tous les individus à une protection effective, par les autorités de l’Etat, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie - droit que les 46 Etats membres du Conseil de l’Europe devront respecter.

La Cour souligne en outre le devoir de cohérence des Etats membres, qui ne peuvent pas simplement se contenter de ratifier des instruments internationaux sur le climat mais qui ont aussi des obligations positives dans le contexte du changement climatique[1] : les Etats se doivent « d’adopter et d’appliquer effectivement et concrètement une règlementation et des mesures aptes à atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique », et ce conformément à leurs engagements internationaux.

La Cour conclut que « le respect effectif des droits protégés par l’article 8 de la Convention exige de chaque Etat contractant qu’il prenne les mesures en vue d’une réduction importante et effective de son niveau d’émission de gaz à effet de serre, aux fins d’atteindre la neutralité nette, en principe, au cours des trois prochaines décennies. À cet égard, pour que les mesures soient efficaces, les pouvoirs publics sont tenus d’agir en temps utile et de manière appropriée et cohérente ».

En l’espèce, la Cour reproche à la Suisse d’avoir adopté une loi sur le climat fixant des objectifs d’ordre général mais sans que les propositions de mesures concrètes visant leur réalisation soient énoncées.

Le processus de mise en place, par les autorités suisses, du cadre règlementaire interne pertinent a, selon la Cour, comporté de graves lacunes, notamment un manquement desdites autorités à quantifier, au moyen d’un budget carbone ou d’une autre manière, les limites nationales applicables aux émissions de gaz à effet de serre (GES).

La Cour a relevé que « de l’aveu des autorités compétentes, l’Etat n’avait pas atteint ses objectifs passés de réduction des émissions de GES, faute d’avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente pour la conception, le développement et la mise en œuvre du cadre législatif et règlementaire pertinent, l’Etat défendeur a outrepassé les limites de sa marge d’appréciation et a manqué aux obligations positives qui lui incombaient en la matière ».

Pour conclure, la Cour constate qu’elle ne saurait se montrer précise ou prescriptive quant aux mesures à mettre en œuvre et estime que la Confédération suisse, avec l’assistance du Comité des Ministres, est mieux placée qu’elle pour déterminer précisément lesdites mesures . C’est donc au Comité des Ministres qu’il appartient de vérifier, à partir des informations fournies par la Suisse, que les mesures visant à s’assurer que les autorités nationales se conforment aux exigences de la Convention, telles que clarifiées dans son arrêt, ont été adoptées.

Par cet arrêt, la Cour met clairement les Etats membres face à leurs responsabilités par rapport à leurs engagements, en soulignant par ailleurs que « la question du changement climatique est l’une des plus préoccupantes de notre époque ».

Cet arrêt fait écho à un arrêt antérieur – et précurseur - de la Cour d’appel de Bruxelles prononcé le 30 novembre 2023 dans l’ « Affaire Climat » qui juge que dans la poursuite de leur politique climatique, l’Etat belge, la Région de Bruxelles-Capitale et la Région flamande [2]ont violé les articles 2 et 8 de la CEDH et ont commis des fautes en s’abstenant de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les effets du changement climatique.

La Cour fait donc injonction à ces entités, en concertation avec la Région Wallonne, de prendre les mesures appropriées pour faire leur part dans la diminution - d’au moins 55% par rapport à 1990 - du volume global des émissions annuelles de GES à partir du territoire belge, avec à la clé des astreintes potentielles au sujet desquelles la Cour sursoit à statuer dans l’attente de la production des chiffres actualisés des émissions de GES.

À bon entendeur…

 

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Mélinée Nazarian
avril 2024

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[1] Pour rappel, l’Union européenne s’est engagée à atteindre la « neutralité carbone » en 2050, autrement dit, à éliminer autant d'émissions de CO2 qu'elle en produit d'ici 2050, avec comme « objectif intermédiaire » pour 2030 une réduction de 55 % des émissions.

 

[2] La Cour estime par contre qu'il n'est pas établi que la Région wallonne n'aurait pas fait sa part dans la réduction des émissions de GES indispensable pour remplir son obligation positive de respecter le droit à la vie des personnes vivant sur son territoire.

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